mercredi 30 janvier 2008

Pourquoi un dialogue inter-religieux ?


Nous pouvons réfléchir aux fondements théologiques de ce dialogue. Jean-Paul II le fondait[1] dans une unité première de l’humanité. En effet, si nous avons une origine et un destin communs, n’avons-nous pas le souci de rechercher à faire l’unité ? Notre théologie nous inspire dans notre manière d’agir, de même que nos expériences du monde interrogent notre théologie.

Dieu nous parle depuis toujours ! On peut même dire, pour nous catholiques, qu’il a parlé d’abord à des juifs. Dieu veut offrir son salut aux hommes, il est normal alors de dialoguer avec tous les hommes en vue de ce Salut.

Y-a-t-il plusieurs niveaux de dialogue ?

On peut parler de 4 formes de dialogue :

  • dialogue de vie ou comment "vivre ensemble"
  • dialogue des oeuvres ou comment agir ensemble pour le bien de l'humanité
  • dialogue des echanges théologiques ou comment discuter ensemble entre les différentes religions sur des thèmes dogmatiques ou de foi, et sur des questions sociales.
  • dialogue de l'expérience religieuse ou comment partager ensemble nos richesses spirituelles

Plus que jamais, le monde a besoin d’espérance ! Chacun à notre manière nous sommes appelés à témoigner de ce Christ mort et ressuscité ! Si beaucoup de choses nous séparent, cela n’empêchera pas que ceux qui se laissent guider par l’Esprit de Dieu d’aimer dans l’autre celui que Dieu aime et qu’Il appelle au Salut sans jamais accepter d’identifier l’homme et sa religion.



[1] dans son discours à la curie romaine en décembre 1986.

mercredi 23 janvier 2008

« Hors de l’Eglise, point de salut ! » ?


Cette formule[1] de Saint Cyprien de Carthage qui voyaient des chrétiens apostasier devant les persécutions, veut rappeler qu’une appartenance à l’Eglise est nécessaire pour être sauvé. Mais quelle est notre manière d’appartenir à l’Eglise ?

Saint Thomas d'Aquin envisage une appartenance spirituelle à l'Eglise par un désir surnaturel. Saint Thomas insiste sur une action directe de Dieu envers le païen. Le salut est donc possible par une grâce spéciale même si le prédicateur n'est pas présent.

H. de Lubac, en 1938, dans Catholicisme parle de « salut par l'Église ». L’Eglise est le « sacrement universel du salut » (LG 48) dit le concile Vatican II.

Pie XII va identifier " Eglise " et " corps mystique de Jésus-Christ ". On peut ainsi distinguer plusieurs degrés d’appartenance à l’Eglise. Dans l'encyclique Mystici Corporis (1943), les personnes ne partageant pas notre foi peuvent appartenir invisiblement à l'Eglise sans le savoir[2]. S'ils sont sauvés, ils le sont donc par l'Eglise et le Christ ! Une plénitude de grâce se reçoit donc dans le corps de l'Eglise, mais Dieu peut toucher quiconque qui, par sa conduite, se rapprochera des actes du corps de l'Eglise. On peut donc parler de désir implicite animé par la charité parfaite, une foi surnaturelle !

Mais quelle valeur accordée à cette foi surnaturelle s’il n’y a pas d’enseignement, de missionnaire ? Est-ce comme saint Paul sur le chemin de Damas, une lumière surnaturelle ?

Aujourd’hui, après le concile Vatican II, on peut reconnaître différents degrés d’appartenance à l’Eglise : il y a ceux qui font partie du corps visible de l’Eglise (ceux qui confessent la foi catholique sous l’autorité du pape et des évêques et qui vivent des sacrements), ceux qui confessent cette foi au Christ en étant séparés de l’Eglise catholique (Lumen Gentium 15)[3], et ceux dont « l’ignorance est invincible » (Lumen Gentium 16)

et qui ne connaissent pas Dieu pour qui le salut est possible. Sur ce dernier point, il y a même une progression du magistère sur Pie XI qui ajoutait une foi en un dieu rémunérateur et une observance de la Loi naturelle. Sans pour autant nier cela, le concile Vatican II va admettre qu’une foi implicite et une vie droite suffisent.

Ce que saint Thomas appelait « grandeur » (grâce d’engagement vers le bien parfait), le concile Vatican II le nomme don qui illumine tout homme. Ainsi chaque homme reçoit une grâce pour être sauvé ; il peut lui rester fidèle sans que celle-ci s’exprime clairement par une foi explicite en Dieu… s’il ne s’éloigne pas de cette grâce, il peut vivre ce mystère de salut ; nul ne sait, cela reste dans le secret de Dieu. Cette grâce qui touche les « incroyants » peut se tout de même se manifester extérieurement par des vertus (sacrifice, fidèlité dans le mariage, vie droite et honnête, aumône, découverte de la Charité…)[4].

En conclusion, il existe des moyens ordinaires de salut tels les sacrements dispensés par l’Eglise mais tout homme qui reçoit une grâce suffisante pour être sauvé est incorporé invisiblement à l’Eglise catholique, s’il n’y met pas obstacle (Chacun est libre !). L’axiome « Hors de l’Eglise point de salut » reste bien vrai : c’est toujours par le Christ et l’Eglise que les hommes sont sauvés.

NB : cet article est certainement trop long mais se veut explicite d’une pensée difficile à rendre compte… et dont je vous laisse encore en annexe une petite réflexion[5].


[1] La formule « Extra Ecclesiam nulla salus » dont on trouve déjà des équivalences parmi les Pères apostoliques, est attestée chez Origène (vers 249–253) : « Que personne donc ne s'illusionne, que personne ne se trompe lui-même : hors de cette demeure, c'est-à-dire hors de l'Eglise, personne n'est sauvé (extra hanc domum, id est extra Ecclesiam, nemo salvatur); celui qui en sort est lui-même responsable de sa mort » et chez son contemporain saint Cyprien (251) : « Celui qui quitte l'Eglise (Quisquis ab Ecclesia segregatus) pour se joindre à une [secte] adultère, se sépare des promesses de l'Eglise. Il ne parviendra pas aux récompenses du Christ, celui qui délaisse l'Eglise du Christ (qui relinquit Ecclesiam Christi). [...] Il ne peut avoir Dieu pour Père celui qui n'a pas l'Eglise pour mère. Si, hors de l'arche de Noé, quelqu'un a pu être sauvé, quelqu'un pourra être sauvé hors de l'Eglise. »

[2] " Il faut admettre en effet que l'infinie miséricorde de notre Sauveur ne refuse pas maintenant une place dans son corps mystique à ceux auxquels il ne refusa pas, autrefois, son banquet. Car toute faute, même un péché grave, n'a pas de soi, pour résultat - comme le schisme, l'hérésie ou l'apostasie - de séparer l'homme du Corps de l'Eglise ". (Tout pécheur n’est pas pour autant exclu de l’Eglise, il garde son appartenance.) " Nous invitons ceux qui n'appartiennent pas à la société visible de l'Eglise catholique à s'arracher à cet état ou nul ne peut-être sûr de son salut éternel ; en effet même si par un certain désir et souhait inconscient, ils se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur, ils sont cependant privés des si nombreux et si grands secours et faveurs célestes dont on ne peut jouir que dans l'Eglise catholique ".

[3] Dans Lumen Gentium 15, le concile Vatican II reprend Pie XI, qui reconnaissait dans Rerum orientalum la part de vérité restant dans les Eglises schismatiques.

Voici le texte de Lumen Gentium 15 :

" Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pourtant intégralement la foi ou sans garder l'unité de la communion sous le Successeur de Pierre, l'Eglise se sait unie pour de multiples raisons. Il en est beaucoup, en effet, qui tiennent en honneur la Sainte Ecriture comme leur règle de foi et de vie, manifestent un zèle religieux sincère, croient de tout leur cur au Dieu Père tout-puissant et au Christ Fils de Dieu et Sauveur, sont marqués par le baptême qui les unit au Christ, et même reconnaissent et reçoivent d'autres sacrements dans leurs propres Eglises ou dans leurs communautés ecclésiales. Plusieurs d'entre eux jouissent même d'un épiscopat, célèbrent la sainte Eucharistie et entourent de leur piété la Vierge Mère de Dieu. A cela s'ajoute la communion dans la prière et dans les autres bienfaits spirituels, bien mieux, une véritable union dans l'Esprit-Saint, puisque, par ses dons et ses grâces, il opère en eux aussi son action sanctifiante et qu'il a donné à certains d'entre eux la force d'aller jusqu'à verser leur sang. Ainsi, l'Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et l'action qui tendent à l'union paisible de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l'unique Pasteur. A cette fin, l'Eglise notre Mère ne cesse de prier, d'espérer et d'agir, exhortant ses fils à se purifier et à se renouveler pour que, sur le visage de l'Eglise, le signe du Christ brille plus clair ".

[4] Il faut encore lire Lumen Gentium 16 : " A ceux-là même qui sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Eglise le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que finalement, il ait la vie. Bien souvent, malheureusement, les hommes trompés par le démon, se sont égarés dans leurs raisonnements, ils ont délaissé le Vrai Dieu pour des êtres de mensonge, servi la créature au lieu du Créateur ou bien vivant et mourant sans Dieu en ce monde, ils se sont exposés aux extrémités du désespoir. C'est pourquoi l'Eglise, soucieuse de la gloire de Dieu et du salut de tous les hommes, se souvenant du commandement du Seigneur : " Prêchez l'Evangile à toutes les créatures " (Mc 16,16) met tout son soin à encourager et soutenir les missions "

[5] Avec le dialogue interreligieux, la problématique s'est déplacée de l'exclusivité de l'Église vers l'unicité du Christ, ce qui donnerait cette formule : « Hors du Christ, pas de salut ». Mais, précise alors B. Sesboüé, « il ne s'agirait évidemment pas de la proposer pour elle-même, au risque de la conduire aux mêmes difficultés que la formule classique parlant de l'Église. N'oublions pas cependant la formule johannique : "Hors de moi vous ne pouvez rien faire" (Jn 15, 5). Le théologien veut renoncer « à tout langage d'exclusion » et proposer « une unicité [du Christ] au bénéfice de tous » [qui est le chemin, la vérité et la vie].

"L'Eglise sait que la question morale rejoint en profondeur tout homme, implique tous les hommes, même ceux qui ne connaissent le Christ et son Evangile, ni même Dieu. Elle sait que précisément sur le chemin de la vie morale la voie du salut est ouverte à tous, comme l'a clairement rappelé le Concile Vatican II : "Ceux qui, sans qu'il y ait de leur faute, ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise, mais cherchent pourtant Dieu d'un coeur sincère, et s'efforcent, sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel." Et il ajoute : "A ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Eglise le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie (Const.dogm. Lumen Gentium n.16)."
Veritatis Splendor - Jean Paul II – 1993

Citation que fait B. Sesboüé de la déclaration Mysterium ecclesiae de 1973 de la CongrégationTout considéré, on doit dire que les formules dogmatiques du Magistère ont été aptes dès le début à communiquer la vérité révélée et que, demeurant inchangées, elles la communiqueront toujours à ceux qui les interpréteront bien. Mais il ne s'ensuit pas que chacune d'entre elles eut et gardera toujours cette aptitude au premier degré. Pour cette raison, les théologiens s'appliquent à circonscrire exactement l'intention d'enseigner que les diverses formules dogmatiques contiennent réellement, et ils rendent par là un grand service au magistère de l'Église auquel ils sont soumis. » (p. 353 du livre « Hors de l'Église pas de salut. Histoire d'une formule et problèmes d'interprétation » Paris, Éd. Desclée de Brouwer, 2004. 396 p.)